Disparition de la bande FM : une réforme consu-numérique

La réforme numérique terrestre prévoit la disparition de la bande FM d’ici une dizaine d’années. Pour les radios indépendantes, le coût de la réforme les condamne à mort, à moins de se plier à une logique commerciale.

Après la télé, c’est au tour de la radio de passer au numérique. Le CSA a lancé un appel aux candidatures pour attribuer les fréquences sur les zones des grandes villes du pays. Un bel écrémage par le fric qui ne pose évidemment pas de problèmes au Groupement pour la Radio Numérique, le lobby de Lagardère Active Media, NRJ Group, RTL, Radio France, et tant d’autres qui ont pressé la réforme. Côté radios non commerciales, on n’a pas vraiment le choix. Piégé par le manque d’argent, il faut signer ou mourir. Pour certaines, c’est le début d’une lente agonie qui s’annonce, puisqu’elles n’ont pas les moyens de la réforme qui exige : une diffusion simultanée FM/numérique, du matériel et de la formation, le rattachement à un prestataire pour diffusion [1], et bien d’autres frais. La refonte du paysage radiophonique, sur critère financier, est en marche. L’expression libre est plus que jamais enchaînée à la rentabilité : pour parler, il faut vendre. Si la possibilité d’héberger plus de fréquences en numérique, donne en apparence l’impression de favoriser la diversité des acteurs de la radiophonie, dans ce processus, subsisteront uniquement les radios les plus riches.

Une réforme qui divise

Dans les rangs des associations, deux stratégies de lutte émergent. La FRANF et la CNRA [2], comme la plupart des instances représentatives [3], s’inscrivent dans une double logique de contribution et de revendication, avec l’espoir qu’augmente le FSER [4] : une aide financée sur les recettes publicitaires télé et radio, amputée de 30% début 2008 suite à la réforme de l’audiovisuel public [5]. En toute connaissance de cause, les dirigeants avancent à l’aveugle, tout en incitant les indépendantes à déposer un dossier, malgré le manque de garanties pour leur avenir. « La question financière reste sans réponse, mais ce n’est pas une raison pour refuser d’avancer avec le gouvernement […] l’innovation technologique est intéressante, il ne faut pas s’en priver », affirme René Lavergne, président de la FRANF et de Radio CAMPUS. Le discours se veut à la fois défiant et collaboratif, mais il laisse perplexe, tant il est d’une confiance déconcertante envers le gouvernement. Ainsi, selon Lavergne, « il n’y a pas de volonté politique de se séparer des radios associatives ». Ça laisse sans voix. Certains mots sonnent comme des reproches au collectif Radios en Lutte, principal opposant à la réforme. Il aurait amoindri les possibilités d’émergence d’un mouvement national avec des revendications communes… Hervé Dujardin, le président de la CNRA, aussi journaliste à Radio Scarpe Sensée, nous donne son point de vu là-dessus : « Ils ont lancé le mouvement trop tôt. » Excusant l’attitude du gouvernement : les pouvoirs publics ne pouvaient pas anticiper le financement de l’aide aux associations… Les divergences viennent peut-être tout simplement d’ailleurs : ce sont des gens « à gauche de la gauche », remarque t-il.

Émettre libre ou mourir

Autre idéologie, autre son de cloche, donc : pour Radio Canut (Lyon) : « Ce passage forcé au numérique est un nouveau moyen pour les autorités de contrôler les radios associatives et non commerciales […] en les étouffant économiquement et en leur imposant des partenaires qui influeront sur le contenu. » Ces radios [6] ne veulent pas suivre la réforme, et réclament le droit de continuer à exister sur la FM sans rompre avec leurs valeurs. « Ce sont des radios comme la nôtre qui ont forcé l’état à ouvrir la bande FM pour les radios libres au début des années 80. Nous refusons aujourd’hui de voir disparaître la bande FM et les radios qui l’ont créée avec . » Elles remettent en question les fondements de la réforme, ses avancées techniques : « Aujourd’hui il y a en moyenne 6 récepteurs radios par foyer. Il est peu probable que la majorité de la population s’équipe en récepteur numérique […] on peut imaginer que d’autres diffusions alternatives moins onéreuses (par le net par exemple) seront accessibles à tout le monde. » Il n’y a pas de compromission possible avec de nouvelles sources de financement : hors de question d’exposer les auditeurs à de la pub, elle est déjà omniprésente dans les médias dominants et cela induirait un formatage et un lissage de leurs programmes.

Profiteuses, profiteurs

Ceux qui tirent leur épingle du jeu, ce sont toujours les mêmes : les industriels, les annonceurs, les commerciaux, les avides. En position de force pour emporter un grand nombre de marchés ou de fréquences, ces ogres sont prêts à investir, impatients de transformer la radio en … télé : et oui, car les nouveaux récepteurs (tarifs actuels entre 150 et 300 euros) sont construits pour diffuser des images et du texte, permettant la retransmission d’émissions en direct, l’envoi d’informations en temps réel, et, bien sûr, la diffusion massive de pub. Un progrès technique tout relatif qui pourrait creuser les inégalités d’accès à l’information, à la culture. Pas vraiment écologique non plus pour les millions de postes qui vont se retrouver à la déchetterie... mais le profit n’a pas de prix. Le doute est pourtant manifeste quant à l’apport de cette technologie : qui trouve que le hertzien ne sonne pas bien ? Il s’agit plutôt de creuser la tombe des derniers médias libres politisés, en nous endormant devant un écran supplémentaire : on regardera la radio, en se demandant si on ne nous lèche pas les oreilles pour mieux nous croquer la cervelle. Lentement mais sûrement, la radio est en passe de confirmer son devenir de média pompe à fric, cherchant à rendre nos cerveaux disponibles à la pub entre deux programmes pourris. Comme c’est déjà tellement le cas.

  • 1981 : Les radios pirates font tomber le monopole de l’Etat sur la radiodiffusion. Elles n’ont pas l’autorisation de faire de la pub. Mitterand et Mauroy préférant allouer des aides de l’Etat afin de favoriser les radios amies de gauche, face à la menace des radios entreprises.
  • 1984 : Sous la pression de radios souhaitant entrer dans une logique économique (RFM, NRJ), la pub est autorisée. L’injection d’argent fait émerger plus de projets, qui étoufferont déjà les radios libres. Elles devront souvent partager leur temps d’antenne.
  • 2008 : La radio commerciale devient le modèle et la règle. Les dernières radios libres sont étranglées par le dogme de la rentabilité.
Notes

[1Ce qui réduit à néant l’indépendance de ces médias : il ne suffira plus d’avoir son antenne et d’émettre, il faudra dépendre d’un contrat et payer.

[2Fédération des Radios Associatives du Nord de la France / Confédération Nationale des Radios Associatives.

[3SNRL, Férarock, IASTAR, SIRTI.

[4Fond de Soutien à l’Expression Radiophonique

[5En 2006, le FSER était également l’objet d’un décret pour conditionner son octroi au projet éditorial des radios.