Ecole Freinet - Une pédagogie alternative en milieu populaire

Le groupe scolaire Hélène Boucher est une école où tous les enseignant-es pratiquent la pédagogie Freinet [1]. Après une journée en classe, nous nous sommes entretenus avec Sylvain Hannebique, enseignant des CM1/CM2 et directeur de l’école primaire.

 

Depuis 2001, un groupe de praticiens développe une pédagogie centrée sur la vie de l’enfant, acteur et auteur de ses apprentissages. Le fonctionnement pédagogique y est articulé autour de quatre axes : l’expression et la communication, le tâtonnement expérimental, le travail individualisé et la vie coopérative. C’est cette dernière qui organise et structure les apprentissages, en favorisant le sens critique des enfants. Cependant Sylvain Hannebique n’est pas dupe : « Aujourd’hui, ça ne serait plus possible. On est dans un contexte politique plus qu’à droite dans les fonctionnements. » En effet, sans être sérieusement menacée, l’expérience à l’école de Mons n’est pas dans l’air du temps.

Changer le regard sur l’école

Pour l’équipe enseignante [2], il était question avant tout de changer la perception de l’institution scolaire : « Ce que fait le gamin dehors intéresse potentiellement l’école, il n’y a donc pas de rupture. Il ne vit pas le chemin entre chez lui et ici comme un renoncement. » Retour ligne automatique
Le but ? Faire de l’école et de la classe un lieu d’élaboration d’une histoire commune « avec des échanges, de la coopération, des formes de rapports sociaux dans la classe et des rapports aux contenus. Un groupe va tisser des liens, s’ouvrir et se confronter progressivement avec d’autres patrimoines culturels. Les premiers sont les classes de correspondance, car ce sont des pairs d’âges. C’est important de comprendre son milieu en regardant celui des autres, comme un effet de miroir. » Cette histoire et ce patrimoine communs se nourrissent aussi avec « les événements et le social du gamin ».

Quoi de neuf ?

Pour cela, place est faite à des outils singuliers comme le « Quoi de neuf​ ​ ? » : « Chacun a son journal ’’Quoi de neuf’’ le matin. C’est un moment où l’on accueille l’événement et le gamin, où le vécu peut être un outil d’apprentissage ». Loin, très loin de certains, à l’instar d’un Finkielkraut, qui militent pour un enseignement unique d’une « grande culture française », les enseignant-es Freinet introduisent la vie de tous les jours dans la classe. Cette vie, racontée par les enfants, servira ensuite de support à une réflexion plus poussée autour des sujets abordés. Le « Quoi de neuf ? » est donc très symbolique de ce positionnement : « On prend au sérieux l’expérience personnelle de l’enfant. Son expression écrite et orale peut devenir un objet de travail. C’est à nous, enseignants, de faire en sorte d’en avoir une lecture. Si le « Quoi de neuf ? » dure une demi-heure et qu’il n’y a rien derrière, ce n’est pas bon car c’est juste un point de langage. »

Photo de Didier

Toutes ces activités (correspondance interscolaire, événements et vécu du gamin) vont s’imbriquer et s’ouvrir à d’autres éléments comme la part du maître (culture), la littérature ou la découverte des ailleurs. C’est qu’il ne s’agit pas d’enfermer les enfants dans leur milieu (« Tout ce qui peut être ouverture, on y va ! ») mais de donner un sens à ce qu’on fait découvrir : « Par exemple, si un gamin va au musée, son regard est différent s’il pratique la peinture. Nous allons en classe de découverte chaque année. Ici, c’est plus complexe et encore plus important car les gamins n’ont pas ce vécu social et culturel. »

Un travail libérateur

Le mouvement Freinet s’est inscrit au sein du mouvement ouvrier. Un des héritages : l’idée d’un travail libérateur (dépasser ce qu’on est capable de faire) et non aliénant. C’est nécessaire au fonctionnement : «  Le rapport des gamins au travail a des effets réels, importants. Ceux qui sortent d’ici ont une distance réflexive sur le collège et le système, sur le rapport au savoir : « Je bosse pour moi, pas pour une note ou les profs ». Ils analysent mieux le pourquoi du travail, subissent moins le milieu, sont plus acteurs et réfléchissent sur ce qui est proposé : ça leur donne une certaine puissance. »

Les progressions individualisées sont favorisées dans une démarche coopérative. La correspondance, symbole de l’héritage internationaliste du mouvement, est un exemple, qui doit être poussé jusqu’au bout : « Énormément d’écoles font de la correspondance scolaire mais pas au sens de Freinet. Pour nous, c’est central : tout ce qui est fait dans la classe est potentiellement fait pour être communiqué. »

Pas de notes

Le travail en coopération est facilité par l’absence de compétition ou de classement : « Il n’y a pas de sens à les noter. Par contre, cela engendre d’autres contraintes : quand on envoie une lettre, il faut qu’elle soit propre et corrigée. La contrainte ne vient pas de la note mais de la situation. Si on fait une lettre, c’est pour l’envoyer ». Dans la pratique, l’élève n’est pas évalué sur sa façon de faire mais sur ce qu’il produit : «  Le but, c’est un produit fini, un chef-d’œuvre, c’est l’aboutissement du travail. »

Les apprentissages coopératifs sont la pierre angulaire du fonctionnement Freinet : « C’est une pédagogie coopérative de l’enfant auteur, qui a du sens dans son apprentissage. » Selon Agnès Nicolas, enseignante des Grandes sections et CP, le mélange des niveaux permet «  à certains d’avoir plus de repères et d’entraîner les autres au respect des règles de classe. » En effet, l’école vécue comme un espace de « démocratie » facilite une cohabitation beaucoup plus paisible qu’avant 2001, année d’arrivée des enseignant-es Freinet.

Conseil d’élèves et conflit

La violence est « complètement résorbée », selon Cécile Carra, sociologue chargée d’évaluer cet aspect dans les travaux de l’équipe de chercheurs (voir interview). Sylvain Hannebique confirme : « Ça s’est très vite régulé car il y a eu rupture par rapport au travail. Que les enfants ne soient pas en échec, qu’ils retrouvent une estime d’eux, cela a modifié très vite le rapport au travail et à ce qu’il y a autour. » C’est dans la complémentarité, grâce à un système global et cohérent, que les méthodes prennent leurs sens.

Le conseil hebdomadaire des élèves est un autre outil de régulation qui vise à adapter les règles : « Des règles pour des règles dans un espace qui n’est pas coopératif, ça n’a pas de sens. Les dérives des conseils peuvent être de se réunir pour se réunir. Si le contenu de ce qui est fait par les enfants n’est pas radicalement libérateur, il manque quelque chose. »

Autogestion et autorité

Dans l’école, droits et devoirs sont assujettis aux trois lois fondamentales de la classe : on y respecte l’autre, on y travaille, on y préserve le matériel mis à la disposition. L’enseignant est le garant du respect de ces lois, censées permettre le fonctionnement coopératif de la classe : « Le reste peut changer lors d’un conseil. La sanction ne peut pas empêcher de travailler et doit respecter l’enfant et respecter son matériel. Cela ne va jamais être un travail aliénant mais une « mise à l’écart » du groupe pour permettre aux autres de travailler. La sanction suprême, la plus dure, ça revient pendant une semaine à travailler de manière traditionnelle. Tu ne bouges plus et tu ne choisis pas ton travail. » La réflexion sur les sanctions est inversée : « S’il y a trop d’écarts à la règle, c’est qu’il y a un problème de règles, c’est que c’est trop coercitif. Si trop d’élèves ne sont pas autonomes, c’est que, quelque part, l’envie qu’on donne aux gamins n’est pas suffisante. Si le travail dont il est privé est libérateur, il aura envie de retrouver le groupe. »

La recherche d’autonomie pour l’enfant n’est pas incompatible avec la place prépondérante de l’adulte : « L’autonomie fait partie d’un apprentissage. Le revers de la médaille, c’est que ça marche moins bien si l’adulte n’est pas là. Notre part dans la mise en place des procédures et techniques est prépondérante. » Conscients de la contradiction possible entre autonomie et omniprésence de l’adulte, les enseignant-es diminuent donc leurs interventions progressivement au cours du cursus scolaire. Les plus grands « commencent à être capables de savoir ce qu’on fait de ce qui est ramené ». 


En bref...

La place de l’adulteRetour ligne automatique
« À terme, notre utopie pédagogique peut être en contradiction : en quoi faudrait-il arriver à se mettre plus en retrait ? C’est un choix assumé car nous sommes conscients des limites de temps et d’espaces. » (Sylvain Hannebique)

L’école et son milieu Retour ligne automatique
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« Ils [les élèves] ne déposent pas leur valise en arrivant et gardent ce fond de violence subie. » (Sylvain Hannebique)

Sur l’équipe enseignanteRetour ligne automatique
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La rotation des tâches permet aux enseignant-es d’effectuer le travail généralement réservé au directeur. C’est pourquoi la prime de direction est partagée. En ce qui concerne la coordination du travail, des réunions ont lieu chaque semaine, c’est une organisation horizontale.

Sur l’école et son quartierRetour ligne automatique
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L’intégration dans le quartier se fait notamment avec l’association Caramel qui jouxte l’école, mais surtout avec les parents, qui peuvent participer. « S’intégrer » au quartier nécessitait un travail de compréhension du milieu populaire qui entoure l’école. En effet, pas question de « modifier la composition sociologique de l’école. Il peut y avoir des effets pervers, car ces écoles peuvent attirer la « bourgeoisie de gauche », des gens attirés par ces pédagogies et qui ont les moyens de les choisir. Cela modifie le profil du travail. » C’est pourquoi la part des « non-Monsois » est fixée à 10%.

Freinet, 1933Retour ligne automatique
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« On ne prépare pas l’homme à l’activité par la passivité, à la liberté par l’obéissance autocratique, à la réflexion et à la critique personnelles par le dogmatisme qui imprègne les livres de nos écoles. Nous voulons une école où l’enfant se prépare à la vie à venir. » Retour ligne automatique
« Tout, dans la vie, se fait par tâtonnement expérimental
 »


Sujets du dossier

Edito du dossier éducation

Célestin Freinet, pédagogue révolutionnaire http://labrique.lil

Une pédagogie alternative en milieu populaire

Une journée classe dans une école Freinet

A propos du travail de l’équipe de recherche qui a suivi le projet

Francisco Ferrer

Notes

[1Les mutations dans l’école se font au sein et par le mouvement Freinet et l’ICEM (voir encadré Freinet).

[2Équipe de plusieurs enseignant-es Freinet qui ont TOUS repris les postes de l’école depuis 2001 (voir interview).