Défiance écolière contre autorité nucléaire

ecole nucleaireÀ l'école, on demande rarement aux enfants leur avis. Ce qui ne les empêchent pas de manifester leur désaccord si besoin. L'État en a fait les frais le 28 mai 2019, lors de la première réunion publique sur la gestion des déchets nucléaires, à Lille. Plusieurs collectifs anti-nucléaire et écolos se sont invités au débat public, et leurs militant.es ont plus la verve de l'écolier.ère indiscipliné.e que la diplomatie apathique du député.

 

Après le pseudo- « Grand Débat », un nouveau débat hexagonal, entamé le 17 avril, porte sur le 5e Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). À Lille, le 28 mai, les collectifs Lilleradiée, ANV-Cop21 et Extinction Rebellion ont décidé d’aller écouter attentivement ce qu’ils ont à nous dire, avec comme mot d’ordre : « On arrête le nucléaire, on débat ensuite ». Une façon de montrer l’absurdité de l’événement, en dénonçant l’hypocrisie d’un État qui prêche une gestion des déchets radioactifs plus « verte » alors que les centrales tournent encore à flux tendu.

Tout le pouvoir aux expert.es

Dans ce retour à l’école, la maîtresse, c’est la Commission particulière du débat public. Le directeur de l’école, l’État. Qui (or)donne un programme, un peu comme Macron lors du Grand Débat. Aux côtés de l’État, quelques adjoints : l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra, bien connu à Bure), EDF, Orano (anciennement Areva)... Eux sont consultés en experts légitimes partout dans le pays, pour « informer » le bas peuple ignorant, dont l’avis ne peut être qu’approximatif car il ne sait pas la réalité du terrain et parle souvent avec le cœur plutôt que la tête. Pire, on se moque des avis contraires à la bonne parole, renvoyés à du chahut de mauvais élèves, alors que ce sont les seuls qui osent s’opposer à l’instituteur.rice.

C’est arrivé près de chez vous

Le 28 mai, le PMGMDR (LOL) débarque à Lille, dans la salle du Gymnase à Sébasto. On est reçu.es à l’entrée par des cravaté.es souriant.es qui nous donnent une demi-tonne de documentation non-radioactive : « pour vous informer au mieux ». Pile on t’assomme, face on t’active. Ça c’est le rôle de Hélène Herzog-Stasi, « professionnelle de la stratégie » choisie pour animer le débat « participatif ». Celle-ci bosse à l’agence « État d’esprit : faciliter l’action publique ». Cherchez l’erreur...

La salle est organisée de manière triangulaire. Deux nuées de chaises se font face, simulacre de l’existence d’une opposition. Sur le dernier côté, un écran géant, quelques notables (CNDP, représentant.es du Ministère de la transition écologique...). On débute par une projection d’une vidéo vantant les mérites du nucléaire. Avant la fin, le public se met à applaudir. La voix-off est masquée sous le brouhaha. Notre spécialiste de la concertation, conclut joyeusement « voilà une vidéo qui remporte un certain succès ». Douce ironie, et premier doute quant à la bonne tenue de ce débat. Round 2, lorsque Isabelle Harel-Dutirou, présidente de la Commission particulière du débat public est très chaleureusement accueillie par l’audience, enfin trop pour être vrai.

À marche forcée, frein d’urgence

Rapidement, les animatrices perdent la face. Des interjections fusent mêlant arguments anti-nucléaire, témoignages de Bure et d’ailleurs et dénonciations de la consultation. Pendant plus d’une heure et demie, elles peinent à faire marcher ce débat qui ne peut avoir lieu, car il faut se rendre à l’évidence. Dans cette salle, il y a plus d’anti-nucléaires que de gens intéressés par la propagande de l’État. En live : le nouvel échec d’une démocratie participative illusoire. Apogée de la contestation citoyenne lorsque les militant.es déploient une banderole rendant littéralement invisibles les officiel.les déplacé.es pour rien. Juliette Rhode, jeune première sortie de grandes écoles parisiennes tente l’apaisement : elle se dit garante de la démocratie participative via son asso d’éduc pop « Saisir ». Ça fait bien rire aussi, l’éducation « populaire » au service de l’État avant d’être au service des gens eux-mêmes.

ecole nucleaire

Alors on continue d’applaudir assez fort pour mettre fin à leurs belles paroles. Ça crie, ça chante, ça tape des pieds et des mains, ça hue et ça porte ses fruits.

Au bout d’une heure et quart, la présidente a un éclair de lucidité : « depuis le début de ce débat, malgré nos efforts (…) la pluralité des échanges n’est pas assurée, ni le respect des personnes qui ont un point de vue différent du vôtre, donc, tant pis, nous sommes obligé.es d’arrêter cette réunion. »

Une partie des militant.es saute de joie, en signe de victoire. Bilan : 10 minutes de temps de parole effective sur une durée de 1 heure. Les agitateur.rices reprennent une posture normale et engagent des discussions directes avec les personnes présentes. Il est bien de rappeler qu’en réalité, nous avons plus que tout l’envie d’échanger, mais hors des cadres prescrits dans cette vaste mascarade.

À l’école de la pensée unique, on préfère l’école buissonnière.

Plus chauds que CIGEO

Après coup, l’action apparaît une réussite. « Pour la première fois en trente ans, j’ai eu la sensation de mettre une claque à l’État. » nous dit Tintin. Lilleradiée1, collectif initiateur, accueille ainsi dès sa réunion suivante de nouveaux.elles militant.es.

Pourtant, d’autres sont plus mitigé.es : aurait-il été possible d’apporter une forme de débat, mené selon nos termes ? Tout le monde se rejoint au final pour affirmer que débattre, c’est déjà céder. Rien n’est parfait, mais tout commence car d’autres réunions publiques généralistes sont prévues à Rennes le 13 juin, Bordeaux le 2 juillet et Strasbourg le 11 juillet. Sans oublier la rencontre spécifique le 12 septembre à Gravelines : « Comment gérer les déchets issus d’un accident nucléaire ? ». La démocratie, on vous dit.

Olive, Lud

1. Lire pp.18-19

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